Chronique n°4 : l'uniforme rouge

Mis à jour le 19/01/2015

Il y a un siècle, au mois de mai 1914, le Conseil supérieur de la guerre donne un avis favorable au renouvellement de l’uniforme français. Le rouge et le bleu seront abandonnés au profit d’un tissu uni, dit « drap tricolore », composé de 60% de laine blanche, 30% de laine bleue et 10% de laine rouge.

Il y a un siècle, au mois de mai 1914, le Conseil supérieur de la guerre donne un avis favorable au renouvellement de l’uniforme français. Le rouge et le bleu seront abandonnés au profit d’un tissu uni, dit « drap tricolore », composé de 60% de laine blanche, 30% de laine bleue et 10% de laine rouge. En juillet 1914, le Parlement vote la loi qui prévoit l’emploi de la nouvelle tenue de teinte neutre gris-violet. Ce changement programmé est le résultat de 25 ans de recherche et de débats.

Le grand bonheur de 1915

Le grand bonheur de 1915 Chronolitho d'Epinal, Klein, dessin d'Hansi Arch dép Lozère, Europeana FRAD048 023 104

Par le passé, les champs de bataille envahis par les épaisses nuées que dégage la poudre noire imposaient des uniformes très colorés pour l’identification de l’ami et de l’ennemi. A partir de la fin des années 1880, le nouveau type de détonnant utilisé se consume sans fumée. Désormais exposés, les combattants recherchent la discrétion. Des uniformes kaki ou gris-vert sont mis en dotation chez les Britanniques (1902), les Américains (1903), les Allemands, les Russes (1907), les Italiens (1909)...

En France, la réflexion sur la modernisation de la tenue de campagne est engagée dès 1889. De nouveaux modèles beiges ou réséda sont testés par l’armée et présentés au public. Mais tous les projets se heurtent à des écueils psychologiques et politiques.

L’affaire n’est pas qu’une question d’efficacité militaire. Il y a le souci de la tradition et du prestige. Depuis 1829, le pantalon rouge, c’est la France. Pas question d’en changer. Vaincue en 1870 sous cet uniforme, c’est sous cet uniforme que la France vengera un jour son honneur. Le poids de l’argument esthétique n’est pas négligeable non plus. La tenue doit représenter l’élégance et le bon goût français. Sa beauté doit éblouir, imposer le respect et montrer la fierté de celui qui la porte, y compris au combat.

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"Rêve de gloire", 1914-1915 Carte postale cou., ed Dix Arch dép Lozère, Europeana FRAD048 008 014

Cet attachement national à des indices vestimentaires complique la décision politique. Sous la IIIème République, il faut une loi pour modifier l’uniforme. Entre 1871 et 1914, les 44 ministres de la guerre restent en poste moins d’un an en moyenne. Ils n’ont tout simplement pas la durée de vie nécessaire à la réalisation d’une réforme qui, outre la conception et les tests, présuppose le temps de l’adoption par les deux Chambres qu’il aura fallu convaincre au préalable. L’importance des sommes en jeu – il y a 3 millions d’uniformes à confectionner –, le caractère sensible du sujet dans l’opinion publique, tout incite les politiques à la prudence.

La décision vient trop tard pour le début de la guerre. Les Français partent au combat vêtus des mêmes couleurs qu’en 1870. Les premières semaines sont catastrophiques, les pertes immenses, la défaite évitée de justesse. Le superbe rouge et bleu qui faisait l’unanimité début 1914, scandalise chacun à l’automne. L’opinion se déchaîne sur la couleur trop voyante de l’uniforme, rendue responsable de tous les maux. Les autorités laissent dire et naît ainsi un élément d’interprétation du revers français qui devient un « classique » et nourrit encore aujourd’hui les conversations. En vérité, les raisons du désastre sont multiples. Que les critiques se concentrent sur le rouge du képi n’est pas malvenu. C’est une explication compréhensible par tous dont l’évidence permet d’éviter un débat public sur d’autres graves faiblesses. Le moment est à l’union, pas aux déchirements.

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Tous leurs maudits avions ne sauraient résister au feu de nos fusils et canons meurtriers 1914-1915 ? Carte postale coul 14X9 cm Arch dép Lozère Europeana FRAD048 008 008

L’éclat de l’uniforme en fait les frais même si, sur le terrain, la réalité avait été différente. Les casquettes rouges pouvaient être recouvertes d’un manchon bleu, cache-képi réglementaire. Les témoignages confirment que le vermillon du pantalon, sali de poussière et de boue avait tourné au brun. Quant à l’artillerie et aux mitrailleuses ennemies, responsables des ¾ des pertes, elles tiraient "dans le tas" plus qu’elles ne visaient du rouge. D’ailleurs, le gris-vert allemand n’avait pas épargné au camp germanique les très lourdes pertes du début de la guerre.

Le dernier épisode de ces vicissitudes vestimentaires survient lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre d’urgence la loi sur l’uniforme votée au mois de juillet. On s’avise que la teinture rouge va manquer : le colorant synthétique était importé… d’Allemagne. Depuis 40 ans, la production française de garance n’est plus qu’anecdotique. C’est ainsi que les laines blanches et bleues, seules disponibles, donneront le fameux uniforme bleu clair distribué à partir de décembre 1914. Pour qualifier la nuance de la nouvelle tenue, un journaliste inspiré trouvera le 16 janvier 1915 la formule « couleur d’horizon ».

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Le nouvel uniforme extr de La Lozère républicaine, 17 avril 1915 Arch dép Lozère 1 Per 220